Luc-Henri Fage, spéléologue, documentariste.
Jonty 82160 Caylus - France - Tel 06 08 60 10 11 -
luc@speleo.fr
Abstract
The fortuitous discovery by caving trekers
in 1988 of an ornated cave, right in the "heart of Borneo," in its
Indonesian western province induced one of its member L.H. Fage to
organize, 1992, a new expedition including an
ethno-archaeologist. This cave called Liang Kaung, apart of
showing original charcoal drawings, has provided no but on surface
of surrounding caves and rock shelters, a display of paddle
impressed ceramic sherds associated with bones and lithic flakes.
Charcoals datations could attest the abandonment of the site 3.000
years ago. During the following year, 1993, the visit
of numerous caves and shelters upon the upper-Mahakam, on the
eastern side has confirmed the generalized occupation of natural
hollows at least during the early neolithic and completed the
ceramic and lithic materials pre-serials, up to 5300
B.P.. Next year, 1994, a long trekking and
speleological survey of the eastern Mangkalihat Peninsula whose
shores along the Makassar Strait corresponding partially to the
Wallace Line, have not changed at least since Pleistocene periods
let discover many other karstic outcrops.
This zone is a very remarkable one for
speleological inasmuch as archaeological points of view and not
surprisingly, a very important discovery has been made in that
eastern area : walls of cave with real red brown paintings has
been found; the very first one until now for the whole Borneo
island. Apart displaying animal and symbolic features, 4,5m above
the ground, they have the particularity of presenting a frieze
about 8m long with at least 11 hand-stencils. Altogether in that
cave called Gua Mardua, 40 hand prints were counted all around the
walls and even on the ceiling, 7m high. Two following expeditions, 95 and 96, into
the neighboring 50km karst outcrops, have confirmed the regular
use of remote caves and galleries witnessing Rock Art and ritual
practices.
Until now, 5 other caves with more or less decayed
remains of paintings have been yet surveyed. The closest analogy with other sites
concerning iconography or archaeological materials, is with
Southwest Sulawesi (Celebes Islds), on the eastern side of Wallace
Line. Based until now upon the Rock Art's blank
over the whole Borneo, one of the most admitted hypothesis
proposed by prehistorians about the different phases of South East
Asia settlement, is describing a sequence of move, around the
so-called Mesolithic period from Sahul Shelf (i.e. N. Guinea and
Australia), all along the Nusantarian Bow (i.e. East Indonesia)
which explicitly should have stopped in Sulawesi.
Our recent discoveries would argue for
changing the current questions into : has this new coming Rock Art
and its associated culture and rituals to be linked with the
latest western remains before crossing Wallace Line eastward or
would it be the most westward and recent point reached by some
eastern drift? As it is commonly accepted that "Mesolithic'
settlers would have spent some thousands years there in the Sunda
land complex, approximately between 12.000 and 5.000 years B.P.,
awaited datations could probably be much older and will determine
clearly the direction of the move.This example is a particularly good one for
feeding the questions of synergetic alliance especially for
karstic area, between speleology and archaeology inasmuch as the
interest of studying the extreme variety in the use of caves and
rock shelters in South East Asia.
La grotte de Kambing, perdue au
sommet d'un massif karstique dantesque, a été
occupée dès le néolithique. Aujourd'hui
encore elle sert pour les chasseurs de nids d'hirondelles, qui
empruntent cette grotte tunnel de deux kilomètres de
long pour traverser le haut du massif. Le personnage donne
l'échelle...
Introduction
La reconstitution du processus de
peuplement du gigantesque ensemble que constitue l'aire Pacifique
continue d'être d'actualité. Même si la carte
de ses différents sites archéologiques se densifie
régulièrement, de nombreuses lacunes, non seulement
au Pléistocène mais jusqu'à l'Holocène
même récent, y subsistent. L'intervisibilité
des îles, les capacités techniques mises au jour ou
attestées, la disparité des typologies
céramiques ou de l'outillage lithique, la
variabilité de leur dispersion même, sont autant de
paramètres qui sont loin de se combiner entre eux.
L'origine, l'expansion et les
processus d'occupation de l'espace mis en uvre par les
Austronésiens soulèvent toujours autant de
questions. Celle posée par la culture "Lapita", quels que
soient les apports indiscutables que l'interdisciplinarité
ait fournis, restent controversées. C'est justement
là, aux marges de ce qui a été autrefois
défini et réduit par la Géographie, que de
nouvelles données peuvent être apportées.
En particulier, les travaux qui se
développent depuis ces dernières années dans
la Wallacea, sur ses multiples archipels ininterrompus :
Bornéo, Célèbes, Moluques ou Timor,
reconstituent une des transitions entre l'Asie du Sud Est
continentale et son expansion dans le Pacifique de l'Ouest.
Les récentes
découvertes faites à Kalimantan dans l'île de
Bornéo: céramiques, industries lithiques et
peintures rupestres notamment, en se plaçant justement dans
cette phase, y ont déjà notablement
contribué.
Début
de l'archéologie préhistorique à l'Est de
Bornéo
En découvrant en 1988, lors
de la traversée à pied de Bornéo, au centre
de l'île (voir carte), une paroi ornée de dessins
"primitifs" dans l'abri sous roche appelé Liang Kaung, un
groupe de randonneurs spéléologues français
ne se doutaient pas qu'ils venaient de commencer à soulever
un morceau d'un très important voile qui masquait une
partie de la préhistoire du Sud Est Asiatique insulaire.
Relevé classé par
genre des dessins de Liang Kaung au charbon de bois, point de
départ de nos cinq expéditions de 1992 à
1996.
Il fallut ensuite l'obstination de
Luc-Henri Fage pour organiser en 1992 avec un
ethno-archéologue, une expédition de repérage
et d'évaluation qui fit découvrir que Kalimantan, la
partie indonésienne (530 000 km2) de Bornéo,
troisième île au monde par sa taille (730 000 km2),
n'avait jamais été prospectée,
échappant ainsi à toute observation en
archéologie préhistorique.
Dans des galeries peu accessibles,
mais proches de la paroi décorée, des vestiges
comprenant des déchets de taille en silex, des fragments
d'os et de céramique décorée constituaient un
sol d'habitat dont l'abandon pu être daté de 3000 ans
environ (3030 BP±180, ANU8570).
Un autre niveau superficiel, dans
une autre grotte à quelques journées de marche et de
pirogue, confirma une occupation des cavités au
Néolithique et justifia l'élaboration d'un projet
combinant prospections spéléologiques et pré
repérages archéologiques.
L'année suivante, en 1993,
la visite de nombreuses grottes et abris dans des pitons
isolés de la Haute Mahakam et de ses affluents, sur le
versant ouest des monts Müller, a confirmé
l'occupation généralisée des cavernes
dès le début du Néolithique et
complété des préséries de
céramiques décorées et d'industrie
lithique.
Jusqu'à présent, on
ne connaissait le passé de Bornéo que d'après
les observations et travaux réalisés uniquement au
Nord-Ouest, à Brunei et dans les provinces de Sarawak et
Sabah rattachées à la Malaisie. Il s'agissait, en
particulier, de la Grande Grotte de Niah avec des restes humains
datés d'environ 30.000 ans, sans peintures
rupestres.
Découverte de peintures
rupestres
En 1994, profitant des indications
fournies par les expéditions spéléos
françaises de 1982, 83 et 86, la prospection concerna les
puissantes formations karstiques de la péninsule de
Mangkalihat, à l'est de Bornéo, là où
la Ligne de Wallace longe au plus près un rivage
inchangé depuis le Pléistocène.
Carte de Bornéo
(Kailmantan) entre Asie du Sud-est et Australie. Les deux
traits rouge marquent les lignes de Wallace et de la faune
australienne. La flèche montre la péninsule de
Mangkalihat où se trouvent les grottes
ornées.
C'est là qu'une très
importante découverte a été faite : la
première grotte avec des peintures de couleur rouge brun.
Si l'on considère l'île de Bornéo dans son
entier, c'est même la première véritable
grotte ornée !
De nombreuses mains en
négatif, des représentations d'animaux et quelques
signes non figuratifs furent découverts dans le double
porche d'entrée d'une grotte (Gua Mardua, voir plan
avec situation des peintures)
à plus de 4 mètres de hauteur.
Ces peintures rouges, dont
l'analyse par le Laboratoire des Musées de France a
confirmé qu'elles étaient en hématite pure,
donc non datables directement, comprennent notamment une frise
d'empreintes juxtaposées, longue d'environ 7 m à
l'origine.
Leur particularité est
qu'elles présentent presque toutes les mêmes traces
triangulaires sur le dessus, ce qui pourrait correspondre à
l'empreinte de la main droite superposée à la paume
de la main gauche.
Des observations plus
affinées en 1995 ont porté le total des empreintes
de mains à 40 et fait ressortir d'autres signes :
silhouettes d'animaux et glyphes arachnéïdes à
contours fermés.
Il est apparu ainsi, malgré
une très forte érosion par desquamation de la couche
calcifiée superficielle qui sert de support aux peintures,
que la plupart des surfaces planes disponibles, y compris les
plafonds, parfois à plus de 7 mètres du sol, avaient
été porteurs de peintures.
De même, quatre autres
grottes, situées dans un impressionnant karst en pains de
sucre à plusieurs jours de marche à l'ouest de la
précédente, ont également livré des
séries d'empreintes de mains dont beaucoup
présentant des traces identiques à celles de Gua
Mardua, d'autres avec des stigmates évoquant des tatouages
(taches en pointillés et lignes minces notamment) et des
silhouettes assez caractéristiques de gibier (sanglier,
cerf, singe, panthère...), en particulier à Gua
Payau et Liang Sara.
|
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Biche de Liang Sara |
Singe poursuivi par une
panthère de Liang Sara |
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Main en négatif obtenue par
projection avec rajouts rappelant un tatouage, Liang
sara |
La prospection de 1996 a
porté sur des massifs karstiques à 50 km au nord de
Gua Mardua. Là aussi, par deux fois, des traces de peinture
rouge identique dans des grottes comprenant du matériel
lithique, ont révélé que cette pratique
semble généralisée, sans que l'on puisse
discerner un réel motif, du fait de la dégradation
des peintures et du support calcité.
Occupation des grottes depuis l'arrivée de la
céramique
Les grottes haut perchées
dans des pitons à fort indice de creusement, occupant des
niveaux supérieurs fossiles, sont assez difficiles
d'accès et ne laissent quasiment pas apparaître de
vestiges archéologiques en surface, à la
différence de Gua Mardua et des cavités
situées en "rez-de-chaussée".
Ces dernières ont
manifestement été occupées de manière
plus permanente, au moins depuis l'arrivée de la
céramique. Cependant, en l'absence actuelle de tout
repère typologique comparatif, la seule observation de
surface des tessons, aussi bien que des déchets de taille
lithique, ne permet pas encore de différencier avec
certitude la période d'occupation correspondante.
Tessons de poterie incisés
trouvés dans Gua Sungaï (Pengadan).
L'emploi de termes
classificatoires comme Néo-, Méso- ou
Paléolithique ne pourra éventuellement s'appliquer
qu'après que des ensembles distincts aient pu être
d'abord mis en évidence et analysés. D'après
des observations et datations en couche superficielle
déjà obtenues dans des cavités voisines de
Gua Mardua, la céramique semble apparaître entre 5000
et 3800 BP (3800 BP±230, ANU9873 et 5240±270,
ANU9876).
Les influences culturelles
En ce qui concerne les peintures
rupestres, quelques éléments de comparaison, en
dehors des innombrables peintures d'Australie, ont
été trouvés depuis plusieurs décennies
dans toute la Wallacea, le long de l'Arc insulindien, mais pas au
delà du centre sud de Sulawesi (sites de Leang Burung 2
notamment). Les analogies formelles et stylistiques des
différents ensembles de peintures observées à
l'époque avaient incité les préhistoriens
ayant travaillé dans cette partie de l'Insulinde à
invoquer l'hypothèse d'une influence culturelle - sinon
démographique - se propageant avant la fin du
Pléistocène, du nord-ouest de l'Australie jusqu'aux
Célèbes.
Emouvante main d'enfant en
négatif dans Gua Payau.
La découverte de ces
peintures rupestres, "en amont" de la ligne de Wallace, permet de
reposer la question autrement. L'influence est-elle venue de
l'Australie septentrionale jusqu'à
l'extrémité orientale de Bornéo ? Ou, au
contraire, part-elle de -- ou au travers -- de Bornéo, puis
de la Wallacea, vers l'Australie ? Il faudra à tout le
moins plusieurs autres découvertes et investigations pour
sinon répondre à ces questions, du moins les poser
différemment. C'est la contrepartie obligatoire des
recherches entreprises dans des "terrae incognitae"
archéologiques. Les raccords avec les données
environnantes sont parfois perturbants et obligent à la
patience.
L'avenir du site et des recherches
Cette découverte ne
manquera pas de susciter des préoccupations non seulement
sur l'étude et la mise en valeur du site mais, surtout, au
sujet de sa protection. Une étude concernant
l'éventuelle construction d'une cimenterie s'alimentant
directement sur le karst serait en cours, posant la question de la
conservation à terme de ce site encore unique pour tout
l'ensemble de Bornéo.
L'île de Bornéo
semblait former un tout homogène avec les
découvertes déjà anciennes de la seule grotte
de Niah à Sarawak, puis celles essentiellement lithiques de
Tingkayu à Sabah.
La mise au jour successive de
céramiques, d'outillages lithiques ainsi que de peintures
rupestres, qui varient d'une zone à une autre, laisse
penser que d'autres découvertes sont à attendre de
nouvelles prospections. Les corrélations entre
Bornéo et ses voisins insulaires depuis le
Pléistocène restent encore à être
précisées.
Rabot en silex taillé,
trouvé sur une piste forestière menant aux
massifs de la Mangkalihat en 1994 (long. 12 cm)
Éléments
de bibliographie déjà publiés sur le
sujet
Fage L.-H.. Les dessins pariétaux de
Gua Kao (Liang Kaung). Spelunca n° 34, 31-35, 1989
Robert G., Huit années de
pérégrinations spéléologiques à
Kalimantan et à Java, Indonésie, ESFIK,
1990.
Fage L.-H.. Les Dayaks se cachent pour
mourir. Spéléo n° 7, 1-2, 1994.
Chazine J.-M. New archaeological
perspectives for Borneo-Kalimantan. Comm. 14th IPPA Congress,
1994, Chiang Mai (IPPA Bull. n° 16 à paraître en
1997)
Chazine J.-M. And for some more caves:
archaeological discoveries in Borneo-Kalimantan. Comm. 3rd World
Archaeological Congress, 1994, New Delhi, 1994
Chazine J.-M. Et pour quelques grottes de
plus. Diagonal (CEDUST, Jakarta) n° 5, 27-32, 1995
Chazine J.-M. Découvertes
spéléo-archéologiques à Bornéo.
CNRS-Info n° 308 (Juin), 13-16, 1995
Chazine J.-M. Découvertes
spéléologiques et archéologiques à
Kalimantan. Les Nouvelles de l'Archéologie n° 61,
30-32, 1995
Chazine J.-M. Nouvelles perspectives
archéologiques à Bornéo-Kalimantan.
L'Anthropologie 9 (n° 4), 667-670, 1993/95
Chazine J.-M. Nouvelles peintures rupestres
à Bornéo. L'Archéologue n° 16
(déc.), 23, 1995
Chazine J.-M. Nouvelles découvertes
archéologiques à Bornéo, Archéologia,
n° 322 (avril), 7, 1996
Chazine J.-M. Découvertes des
premières grottes peintes de Bornéo. INORA
(International News on Rock Art), n° 14, Foix (sous
presse)
Chazine J.-M. New approach in Kalimantan
Rock Art and Prehistory. Comm 4th BRC Conference, Brunei,
1996.